La vallée de la Nièvre a été profondément marquée par les Saint. Par les usines qui furent installées dès les années 1860, très vite suivies par les longs alignements de logements ouvriers mais aussi par les grosses demeures patronales, ou "châteaux", que les membres de la famille se firent construire.
Flixecourt en compte trois : le château rouge, le château blanc et le château dit de la navette.
Jean-Baptiste Saint, tout juste nommé à la tête de toutes les usines familiales en 1863, se fit construire, pour lui et sa famille, dès l'année suivante, une grande demeure, le "château rouge", en bordure de la route nationale . Il s'agit d'une grosse demeure bourgeoise en brique et pierre de style néo-Louis XIII, édifiée par Delefortrie ; en 1875, des dépendances sont construites sur le côté. Dans les années 1880, la veuve de Jean-Baptiste quitte le château qui revient dans le giron de l'entreprise ; en 1929, il est converti en maison des oeuvres sociales et servira de centre de formation.
Le château et ses communs ont été reconvertis en logements.
Le château rouge et ses communs
Après le mariage de son fils René, Alice Saint (veuve d'Henri, fils aîné de Jean-Baptiste) quitte le château rouge pour une nouvelle demeure qu'elle fait construire un peu plus bas dans la rue. Achevé en 1913, le château blanc (pour ses pierres, en opposition aux briques du château rouge) est l'oeuvre de l'architecte Charles Bourgeois. Ce dernier opta pour une construction très classique, dans le style du 18ème siècle. Converti en hôtel dans les années 1970, il abrite depuis les années 1990 un foyer de vie pour personnes en situation de handicap. Incendié en 2005, il a été restauré et un nouveau bâtiment moderne est venu s'installer tout à côté.
le château blanc
Voici donc deux belles demeures, mais c'est surtout le château dit de la navette, situé en bordure de la rue menant à l'Etoile qui retient l'attention...
A la mort de Jean-Baptiste Saint en 1880, sa veuve, Stéphanie Zambaux, achèta plusieurs terrains pour y faire construire une imposante demeure, véritable symbole de l'enrichissement de la famille.
Les plans furent dressés par Delefortrie (déjà auteur du château rouge et qui, en 1885, construira à la Chapelle sous Poix une version "modèle réduit" du château de Flixecourt) ; le gros-oeuvre fut construit de 1882 à 1884 et la décoration intérieure achevée en 1886, le tout pour la somme rondelette de 800 000 francs.
A Stéphanie Zambaux succédèrent son fils Pierre puis son petit-fils Christian. A la mort en 2006 de la veuve de ce dernier, le château fut transmis à l'un de ses cousins, M. Barrois (+2013).
Le long de la rue qui mène à l'Etoile, un imposant mur percée d'une étonnante grille, surchargée de motifs et de rouille signalent le château établit à mi-pente mais auquel on accède par une autre grille, un peu plus loin, plus modeste que sa grande soeur, mais non moins rouillée.
la grille vue depuis le château
Le château qui se dresse en haut du chemin est une vaste demeure eclectique, savante synthèse de styles, construite en brique et pierre. Il se compose d'un corps de logis rectangulaire cantonné de trois pavillons et d'une tourelle ; prolongé au sud par une aile basse couverte en terrasse.
La façade principale est précédée d'une terrasse et d'un large degré. La travée centrale est placée en légère saillie et est rythmée de pilastres cannelés jumelés encadrant un large balcon à l'étage ; elle est coiffée, comme les pavillons latéraux, d'un toit en pavillon. Sur le parc, l'avant-corps central est polygonal, compte trois niveaux d'élévation et est sommé d'une flèche.
Si le parti d'ensemble est en briques à chaînages de pierre à bossage rappelant le 17ès, les toitures et leurs grandes lucarnes sont traitées dans un esprit plus renaissance.
Notons enfin que sont disséminés un peu partout sur le bâtiment ancres de fer et pierres sculptées aux initiales Z (Zambaux) et S (Saint).
L'intérieur fit l'objet du plus grand soin également au moment de la construction : plusieurs styles et ambiances se succèdent dans les pièces : néo renaissance, Louis XV, Louis XVI, néo classique... Les meubles qui sont encore en place furent créés spécialement pour le château afin de s'insérer dans les décors...
Les figures familiales sont partout présentes sur les tableaux mais aussi sur les vitraux ornant les fenêtres.
Le château est environné d'un parc (en grande partie boisée) d'une quinzaine d'hectares qui conserve de nombreuses essences parfois rares.
On peut y admirer un étonnant château d'eau d'inspiration médiévale aux pieds duquel s'étendait un étang artificiel, aujourd'hui asséché.
Enfin en repartant, on pourra s'arrêter quelques instants devant les anciennes écuries ornées de têtes de chevaux en pierre nous rappelant la destination du lieu et que voisinent l'ancien garage à voitures teinté d'art-déco.
Avant de terminer, un autre château, non pas à Flixecourt, mais à Ville-le-Marclet (le territoire de la commune commence de l'autre côté de la route face au château rouge !). En 1912, Robert Saint (fils d'Alice, petit-fils de Jean-Baptiste -on suit ?) acheta l'ancien château de Ville-le-Marclet (construit en 1755, remanié après 1829) et le fit détruire pour le remplacer. La guerre freinera ses projets de le nouveau château fut construit en 1920-1922.
A la mort de la veuve de Robert en 1973, le château est vendu et converti en Institut Médico-Pédagogique (devenu IME dans les années 1990). Devenu inadapté, il a été vendu et a trouvé depuis août 2020 deux nouveaux propriétaires, passionnés -et motivés- qui ont a coeur de redonner à la demeure son allure d'origine ; ainsi les constructions des années 1970 qui masquaient la façade ont été détruites en novembre 2020 tandis que l'intérieur retrouve peu à peu ses volumes et ses décors d'origine.
le château de Ville-le-Marclet vu depuis le cimetière de Flixecourt
Le portail (construit dans le même style que le château) se trouvait tout à côté des premiers tissages de jute (dernier quart du 19ès) situés face au château rouge ; il ouvrait sur un longue avenue boisée de 500 mètres qui menait au château. Aujourd'hui l'avenue subsiste toujours (bien que non entretenue) mais le portail a été détruit pour le percement d'une rue (il en reste toutefois de maigres vestiges).
les restes du portail (détruit pour le percement de la rue) et l'allée du château de Ville
Notons pour finir, qu'outre les châteaux flixecourtois, la famille posséda aussi d'autres châteaux : celui château de Condé-Folie de 1895 jusqu'à sa destruction en 39/45 et le "château d'en bas" de Belloy-sur-Somme. Ce dernier fut acheté par René (frère de Rober) vers 1920 (il sera revendu dans les années 1960 ; il abrite aujourd'hui un foyer de vie pour personnes handicapées).
* Sources :
- Gentilhommières en Picardie, Amiénois et Santerre, 2002, Philippe Seydoux, éditions de la Morande
- Châteaux disparus de la Somme, 1987, Christian du Passage, CRDP d'Amiens
- site de l'Inventaire général du patrimoine culturel des Hauts-de-France
- article du Courrier Picard du 15 novembre 2009
- article du Journal d'Abbeville du 13 janvier 2021