Heilly

Heilly, six lettres pour un petit village et son château dont les origines remonteraient au 6ème siècle. Domaine chargé d'Histoire, d'histoire(s), de faste et de déchéance..

Si les vestiges du château en lui-même sont bien minces, les aménagements du parc, avec ses hauts remparts, la cour d'honneur, les dépendances et l'emprise du canal dans le village témoignent encore de l'importance du domaine du temps de sa splendeur.

En 1621, le château passe dans la maison de Gouffier par le mariage de Françoise de Pisseleu et de Charles-Antoine Gouffier. La seigneurie est alors érigée en marquisat et le vieux château médiéval est restauré après son incendie en 1649. Il comprenait alors un châtelet ouvrant sur une vaste cour irrégulière donnant sur le château, formé de plusieurs bâtiments imbriqués les uns dans les autres sans logique apparente.

le vieux château vu depuis l'Ouest

Louis-Charles-Antoine Gouffier, marquis d'Heilly, épousa en 1734 Catherine Phélypeaux d'Outreville qui lui apporta une belle dot. Héritier lui-même d'une grande fortune (il disposait, dit-on, de 400 000 livres), le marquis se mit alors en tête d'embellir et d'agrandir son domaine de 1737 à sa mort en 1777.

le château vu depuis la cour d'honneur avec le boulingrin et depuis le jardin anglais

avec l'orangerie (lithographies conservées à la Société des Antiquaires de Picardie)

Le vieux château fut rasé, à l'exception toutefois du front Ouest qui fut maintenu dans son état médiéval -avec ses contreforts, ses tours et ses courtines- et incorporé par l'architect parisien Contant d'Ivry dans la nouvelle construction qu'il avait dessinée. Celle-ci était entièrement en pierre et d'une élévation inhabituelle de trois étages carrés. La façade principale, à l'Est, comprenait deux ailes formant pavillons aux angles rabattus, placées en très forte saillie aux extrémités et un large avant-corps central surmonté d'un fronton et coiffé d'un comple à l'impérial.

Connu par plusieurs dessins, l'intérieur avait reçu une décoration soignée (grand escalier d'honneur, chinoiseries, statues, tableaux) signée des plus grands artistes de l'époque (Huet, Adam...).

Toujours sur des plans de Contant d'Ivry, le marquis avait également prévu le réaménagement des abords du château et du parc : une grande cour d'honneur, précédée de deux rampes pavées en forme de mâchoire enserrant un boulingrin enfoncé, précédait le château à l'Est ; au Sud, deux longs escaliers en pente douce, accostés de tourelles en brique, descendaient vers le jardin anglais et sous la terrasse du château avait été aménagée une vaste orangerie, véritable église souterraine, entièrement en briques, qui présentait une belle façade en pierre ornée de niches sur les jardins.

En 1750, autorisation fut donnée au marquis de faire creuser dans l'axe du château, en direction de Ribemont, un canal long de 2 kilomètres et d'une superficie d'une vingtaine d'hectares. Une partie du village fut alors rasée pour en permettre l'aménagement.

Dessin des jardins par Contant d'ivry et plan du canal

(plans conservés à la Société des Antiquaires de Picardie)

De 1760 à 1776 enfin, le ferronnier Jean Veyren, dit le Vivarais (auteur des grilles du choeur de la cathédrale d'Amiens et de l'abbatiale de Valloires), exécuta un ensemble d'une dizaine de grilles (en plus de la balustrade et des garde-corps du château) dont chacune présentait des attributs en fonction de son implantation : guirlandes et corbeilles de fleurs pour celle du parterre ; corbeilles de fruits et de légumes pour celle du potager ; plantes aquatiques, poissons et volatiles pour celles du canal etc...

Le marquis n'eut qu'une fille pour unique héritière, Adélaïde-Marie-Louise, qui épousa en 1774 le comte Marie-Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, diplomate voyageur. C'est à elle que l'on doit, de 1776 à 1782, la reconstruction de l'église actuelle.

Malgré l'exil du comte de Choiseul-Gouffier, le château traversa la révolution sans dommages, et bien qu'à peine habité (un inventaire de 1810 précise que le mobilier est protégé de housses), il ne fut pas pillé.

La comtesse mourut en 1817 et c'est alors que commença le déclin du domaine : des terres furent mises en adjudication, du mobilier et une partie des collections furent dispersés.

L'héritier du domaine, le comte de Chabrillan (déjà propriétaire du château de Digoin qu'il avait fait restaurer à grands frais) acculé à la ruine et pressé par ses créanciers, mit en vente le château en 1846. Aucun acquéreur ne s'étant présenté pour l'ensemble, tout fut dépecé, démembré et le château détruit l'année suivante, à l'exception d'une partie de l'aile Sud-Est qui fut maintenue.

Aujourd'hui, de l'ensemble que l'on surnommait "le Versailles picard", seuls les vestiges du gros-oeuvre permettent d'en donner une idée des proportions colossales : les immenses murs de soutènement du parc, véritables remparts ; les terrasses et les portails surplombant le canal redevenu marais ; la cour d'honneur et ses rampes, celles du jardin anglais ; l'orangerie enfin, qui subsiste intacte à l'ombre des maigres vestiges du château, sans oublier les dépendances dans le village. L'ensemble a été inscrit aux Monuments Historiques en 2001 mais ne bénéficie pas pour autant d'attentions et d'entretien... à terme les murs fatigués continueront à se dégrader et à disparaître.

les vestiges du château et la façade en pierre de l'orangerie

(déb. 20ès et en 2001)

et les vestiges du château (déb. 20ès et en 2001)

L'une des rampes du jardin de l'orangerie, état en 2001

La façade en briques et l'intérieur de l'orangerie

le soubassement de la terrasse du château vu depuis la cour d'honneur

l'emplacement du château en 2001

A défaut de pouvoir les contempler sur place, on trouvera un peu partout dans le département et notamment à Amiens, des oeuvres d'art provenant d'Heilly :

- dans la salle des mariages et dans le pavillon central de l'hôtel de ville, des panneaux de boiseries en chêne :

- au musée de Picardie, les statues de Diane et d'Apollon (par Adam) qui ornaient autrefois l'escalier d'honneur du château et dans les jardins du musée, le groupe sculpté "Angélique et Médor" (par Adam également) :