Depuis plusieurs siècles, le vieux château de Picquigny veille sur la vallée de la Somme. Ses ruines, puissantes et romantiques se dressent comme un décor de théâtre face au fleuve et aux étangs.
Edifié dans la deuxième moitié du 11ème siècle puis reconstruit dans le courant du 14ème, il fut incendié en 1470 par les armées bourguignonnes. Après plusieurs décennies d'oubli, il est relevé, renforcé et réaménagé par Antoine d'Ailly et ses fils à partir des années 1520 dans le style renaissance. Il accueillera plusieurs hôtes illustres dont Gabrielle d'Estrées qui s'y arrête en 1594, préférant ne pas apparaitre aux côtés de son royal amant alors qu'à Amiens s'instruisait l'annulation de son mariage avec Nicolas d'Amerval ; Henri IV justement séjourne à Picquigny en mars-avril 1597 avant la prise de la ville d'Amiens par les espagnols ; en 1636 c'est Richelieu qui y dort avant d'aller inspecter les fortifications d'Abbeville et enfin en juin 1689 la marquise de Sévigné, amie d'Elisabeth le Féron, duchesse de Chaulnes, passe plusieurs jours au château comme en témoigne une lettre qu'elle adresse à sa fille : "Nous arrivâmes ici dans un château où tout l'orgueil de l'héritière de Picquigny est étalé. C'est un vieux bâtiment élevé au-dessus de la ville ; comme à Grignan ; un parfaitement beau chapitre, comme à Grignan ; un doyen, douze chanoines, je ne sais si la fondation est aussi belle, mais ce sont des terrasses sur la rivière de Somme qui fait cent tours dans les prairies, voila qui n'est pas à Grignan." La marquise fera aussi don d'ornements liturgiques à la collégiale : violets, ils devaient servir d'attributs de deuil pour les châtelains enterrés dans l'église. Si le chasuble a disparu, il reste un voile de pupitre et une dalmatique.
Abandonné dès le début du 18ème siècle, le château était dans un état critique peu avant la révolution. Déclaré bien national en 1793, le grand comble fut démonté et les bâtiments servirent de carrière de pierre jusqu'au milieu du 19ème siècle.
les ruines du logis
Propriété des Picquigny, seigneurs du lieu et vidames d'Amiens, le château resta dans leur descendance au gré des alliances jusqu'au début des années 1770 : les Ailly leur succèdent en 1378 puis la famille d'Albert dont les ducs de Chaulnes relèveront les noms et armes des Ailly ainsi que le titre de vidame. Louis-Joseph-Romain d'Albert sera le dernier vidame d'Amiens : ruiné, ses biens (dont l'important château de Chaulnes) furent saisis en 1773 et le château de Picquigny adjugé à Pierre Briet de Bernapré en 1774. Ne pouvant le payer, il le revend l'année suivante à Liefman Calmer, grand bourgeois de la Haye. Juif, il ne put porter le titre à cause de sa religion pas plus que Charles-Pierre de Bourbon (le futur Charles X) à qui il vendit le château en 1779 et dont la qualité de prince l'empêchait de relever d'un évêque.
Les ruines appartenaient au milieu du 19ème siècle aux Morgan. En 1924, la comtesse Aymar de la Rochefoucauld, née Morgan de Belloy, les légua à Société des Antiquaires de Picardie qui s'efforça de maintenir et conserver le site en état mais qui dû se résoudre, en 2012, à le mettre en vente. Il est acquis en juin 2013 par un particulier de l'Yonne.
L'A.R.CH.E (Association de Restauration du CHâteau d'Eaucourt (cf "Une Somme de châteaux, Eaucourt sur Somme") gère depuis avril 2015 le site et est chargée de l'animation et des visites du château (plus d'informations sur le site : lien).
la porte de la barbacane
On accède à la partie haute du château par la porte de la barbacane au Sud qui comprend deux entrées : une porte charretière en ogive pour les attelages et un accès pour les piétons. Au-delà subsiste la belle porte du château, en plein cintre à bossage.
Sur la droite s'étendent les vestiges du logis du château. Rebâti contre la courtine Sud au cours du 16ème siècle dans le style renaissance, il consistait en un corps de logis rectangulaire flanqué de trois tours et accompagné d'une aile en retour sur la cour ; cette dernière aile fut reconstruite en 1629 par Nicolas Blasset, plus connu pour ses statues que ses talents d'architecte. Le logis comportait au rez-de-chaussée les pièces de service dont subsiste intacte aujourd'hui la cuisine, datée de 1581, avec son imposante cheminée ; l'étage était occupé par une galerie de 18 mètres de long, une salle d'archives et les appartements du duc et de la duchesse de Chaulnes.
la porte du Gard
Pour entrer dans la partie basse, il faut contourner le château à l'Ouest et rejoindre la porte du Gard. Datée de 1518, elle est ménagée dans un renfoncement et ouvre par une belle arcade brisée encadrée de tourelles. Un peu plus loin, sur la gauche se dresse l'élégant pavillon Sévigné, de style renaissance qui abrite un escalier permettant de relier les parties basse et haute du château.
le pavillon Sévigné et les ruines du logis vues depuis la partie basse
Plus loin encore on trouve l'ancienne collégiale (cf "Une Somme d'églises, Picquigny") et la basse-cour. Une stèle nous rappelle que c'est à Picquigny, sur une île, "l'île de la trève" parmi les méandres de la Somme, que fut signé en 1475 le traité entre Louis XI et Edouard IV mettant fin officiellement à la guerre de Cent ans.